15. Tradition, morale et subjectivité sociale

Lorsqu’on fait le bilan de ce que fut la tyrannie bourgeoise du XIXe siècle, on peut être frappé par son apparente immoralité. Mais ce sentiment est-il justifié ? L’occasion est donnée ici de nous interroger sur la valeur de ce jugement.

La Justice : une question de point de vue

Le Bien, le Mal ou la Justice ne se démontrent pas. Il s’agit le plus souvent d’abstractions mentales aux contours flous qui n’ont vocation qu’à refléter l’intérêt de ceux qui les inventent. Il est de ce fait naturel, lorsqu’on est un citoyen français d’origine modeste, de considérer le sort qui nous fut réservé en ce temps comme quelque chose d’immoral.

Et nous pensons probablement cela tout en possédant un smartphone, une tablette tactile ainsi que de nombreux vêtements manufacturés en Chine, sans que les conditions détestables dans lesquelles ces richesses sont produites ne nous dérangent particulièrement.

Tout au plus feint-on parfois de s’en émouvoir, sans que cela n’empêche quiconque de s’en procurer d’autres. Il en était de même lorsque la bourgeoisie française profitait de nous. Cette situation ne la dérangeait pas, et la moralité qu’elle s’était inventée dans son propre intérêt s’en accommodait naturellement.

La morale est un fait communautaire

Les Occidentaux modernes commettent souvent l’erreur de croire en l’universalité de leurs propres valeurs. Ils croient qu’ils peuvent juger les autres de la même manière qu’ils se jugent eux-mêmes. C’est oublier trop vite que la morale est un fait communautaire.

Il arrive à cet égard que nous dissonions dans notre manière d’envisager la moralité, car nous avons été forgés par de multiples appartenances sociocommunautaires dont l’intérêt diverge sur de nombreux points. Je m’explique : mon propre intérêt financier n’est pas forcément compatible avec l’intérêt du pays au sein duquel je vis, qui peut être lui-même en conflit avec l’intérêt de ma classe générationnelle, qui peut empiéter à son tour sur l’intérêt de la communauté géographique particulière dont je suis issu, laquelle peut entrer en conflit avec ma communauté de foi.

Pour le dire autrement : la multiplicité de nos appartenances sociales induit nécessairement des incohérences dans notre propre manière d’envisager la moralité, car nous sommes le reflet de communautés d’intérêts multiples et contradictoires. Pour régler ce problème, les traditions du monde se sont accordées de tout temps à sacraliser notre sentiment d’appartenance à un « tout » suprême tel que la nation, la patrie ou l’empire, car lorsque les individus se reconnaissent au sein d’un même ensemble, alors ceux-ci épousent naturellement la même vision de la moralité. Ils se mettent au service du bien commun, au détriment des intérêts particuliers de telle ou telle sous-catégorie sociale.

C’est avec ce principe élémentaire de « vivre-ensemble » que la bourgeoisie a rompu dès son apparition, puisqu’il est de sa nature ainsi que de celle de ses activités que de ne se préoccuper que de ses propres intérêts. En sa présence, la lutte des classes est donc inévitable.

On peut à cet égard considérer que la bourgeoisie est l’incarnation d’un idéal contre-traditionnel que l’on désigne souvent sous le terme de « Modernité ».

La lutte des classes n’est pas terminée

Les peuples d’Occident ont vaincu la bourgeoisie à plusieurs reprises. Mais cela n’a été possible que dans l’unité, la détermination et la discipline collective. La bourgeoisie ne nous a pas concédé d’avantages par bonté de cœur, et moins encore par souci d’une quelconque forme de moralité. Elle l’a fait parce que nous l’avons contrainte à le faire, dans un rapport de force qui ne fut en rien pacifique.

Mais ne nous leurrons pas : la lutte des classes n’est pas terminée. Elle ne s’achèvera jamais, tant que la bourgeoisie continuera d’exercer son influence sur le monde. Si le rapport de force qui nous y oppose devait finalement s’inverser, alors celle-ci s’empresserait immédiatement de remettre en cause tous les acquis sociaux qu’elle nous avait concédé. N’est-ce pas précisément ce qui se passe aujourd’hui ?

De quelles forces disposons-nous encore pour contrebalancer son influence ? En sombrant dans l’individualisme, nous avons renoncé à notre force de cohésion populaire. Nous ne savons plus faire preuve d’aucune forme de discipline collective, et nous n’avons presque plus de culture militante. Pendant ce temps, la bourgeoisie s’est approprié la quasi-totalité des leviers de pouvoir qui déterminent notre destin : médias, culture, arts, politique, finance et divertissement. On ne sera donc pas surpris si notre époque est celle de la régression sociale, humaine et environnementale. C’était inévitable, et le monde que nous laisserons à nos enfants sera probablement plus difficile encore. Il me semble que la plupart des jeunes en sont conscients : le bien-être des sociétés futures est compromis. Nos enfants seront-ils heureux ? Saura-t-on seulement ce qu’« être heureux » signifie ?

Ce chapitre est extrait d’un ouvrage intitulé 01-Tradition : Echapper à la catastrophe sociale, écologique et migratoire.

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