07. Politique et communication
Qui n’a jamais rêvé de changer le monde ? Afin d’y parvenir, de nombreux militants s’engagent en politique. Le problème, c’est qu’en démocratie il faut se faire connaître de tout un peuple pour être élu. Est-ce bien envisageable lorsqu’on est qu’un simple quidam ? Contre toute attente la réponse est oui, mais seulement sous certaines conditions, car ce qui compte vraiment pour être élu n’est pas la popularité mais l’apparence de celle-ci. Grâce à ce principe, le président Macron parvint à se faire élire le 7 mai 2017 en dépit du fait qu’il ne fut, quelques mois auparavant, qu’un relatif inconnu aux yeux du grand public.
Comment les communicants ont propulsé Emmanuel Macron
« On n’aurait pas misé sur lui à l’époque », confessent aujourd’hui nombre de commentateurs aguerris de la vie politique française. Mais c’était sans compter sur l’ampleur du soutien médiatique dont le jeune candidat s’apprêtait à bénéficier.
Sous la plume des journalistes de L’Express, Macron devenait tout à coup « le candidat de la modernité, entre courage et indignation ». Il soufflait alors, selon les chroniqueurs du plateau de LCI, « comme un air de renouveau » sur l’ensemble de notre paysage politique. Dans L’Opinion, on surenchérissait en évoquant le « vent de fraîcheur » qui s’apprêtait alors à « balayer l’ancien monde ».
Le futur président fut ainsi présenté de façon élogieuse. On le qualifiait de « simple et moderne », « fort d’une solide expérience personnelle et professionnelle ». Christophe Barbier s’exclamait : « Il était temps que Macron nous annonce sa candidature ! » tandis que L’Obs vantait les mérites d’un candidat prétendument seul « contre tous ».
« Macron progresse ! » se réjouissaient en direct les journalistes de RTL. « Macron progresse encore ! » surenchérissaient alors ceux du Point. L’euphorie était telle qu’on proclamait déjà Emmanuel Macron « personnalité préférée des Français » sur BFMTV, sans qu’aucun sondage ne vienne confirmer cette affirmation.
Une fois élu, le jeune président déclara sans s’y tromper : « J’arrive tout auréolé d’une réputation qui m’est faite par la presse. » En guise d’illustration, les quatre journaux Le Monde, L’Obs, L’Express et Libération ont produit à eux seuls, en seulement quelques mois de campagne, plus de 8 000 articles en référence à Macron[1].
L’effet de masse
Impossible de sous-estimer l’impact d’une telle exposition médiatique, car rien n’est plus convaincant aux yeux des hommes que ce qui semble déjà en avoir convaincu d’autres. Ce phénomène fut étudié par Solomon Asch, qui démontra en 1951 que près de 75 % des êtres humains se conforment aveuglément à l’avis du groupe social dont ils sont le membre[2].
Les Égyptiens de l’Antiquité croyaient donc très volontiers que les dieux avaient des têtes de chat et d’ibis. Cette croyance peut nous sembler ridicule aujourd’hui, mais elle ne l’était pas aux yeux des hommes et des femmes de ce temps, qui constataient que leur société y croyait. De nos jours, nos croyances ne sont qu’en de rares occasions plus étayées que ne l’étaient les anciennes. Elles ne sont pas forcément plus intelligentes. La preuve : le peuple français a bien cru qu’Emmanuel Macron serait un bon président. Et nous continuerons de croire en tout ce que notre société tient pour vrai, fût-ce en apparence seulement, et les apparences sont parfois trompeuses.
Marketing communautaire
N’est-ce pas précisément le travail des communicants que de mettre les apparences en scène ? Lorsqu’ils se consacrent à nous vendre quelque chose, leur premier réflexe est de nous donner l’impression que la communauté dont nous sommes le membre l’a déjà adopté : ils investissent de fortes sommes afin d’associer leur produit à telle ou telle catégorie sociale qui leur semble être la plus susceptible d’en faire l’acquisition. Les jeunes, par exemple, sont particulièrement ciblés par les opérateurs de téléphonie mobile qui « sponsorisent » de nombreux événements festifs afin d’associer leur service à l’imaginaire auquel les jeunes se réfèrent.
Les « sportifs » sont quant à eux la cible privilégiée des marques de boissons « énergisantes », qui consacrent d’incroyables montants dans la promotion de compétitions sportives. C’est une stratégie avisée, car le succès commercial d’un produit dépend de l’image et des représentations mentales qui s’y associent dans l’inconscient populaire. Rien n’est rationnel dans tout ça, mais c’est ainsi que fonctionne notre monde.
C’est sur la base de ce principe que les communicants coréens propulsent régulièrement de parfaits inconnus au rang de célébrités internationales. Afin d’y parvenir, ceux-ci mettent en scène le succès fictif de leurs nouvelles recrues grâce à de gigantesques concerts remplis de faux fans, chargés de simuler l’engouement. Les images de ces concerts sont ensuite rediffusées sur le Net, dans l’espoir que le public se conforme au succès qu’il croit ainsi percevoir. C’est ainsi que la «K-pop» est devenue, presque du jour au lendemain, un phénomène mondial.
La manière dont les médias français ont propulsé Emmanuel Macron au rang de président élu n’est sur le fond pas si différente : le système a choisi le candidat qu’il souhaitait faire gagner, et il en a fait en quelques mois seulement sa « star » électorale. Qu’importe qu’Emmanuel Macron ne fût qu’un relatif inconnu, quelques mois seulement avant son élection. Cela n’avait strictement aucune importance, car la seule chose qui compte en politique, c’est l’apparence du succès que l’on saura ou non mettre en scène.
Emmanuel Macron a bénéficié à cet égard d’un soutien sans faille de la part de la quasi-totalité du paysage médiatique français. Ses meetings étaient certes vides, mais ils semblaient réussis lorsque les médias n’en diffusaient que des images en gros plan. L’échec devint en apparence un succès, et le peuple s’y est tout naturellement conformé. Telle est la magie de la communication : provoquer le succès lorsqu’il n’existe pas. Provoquer l’engouement lorsqu’il est absent, et manipuler les foules.
La communication ne peut pas tout
Le pouvoir de la communication n’est pas illimité. En 2016, Nicolas Sarkozy en a fait l’expérience. Il s’était en ce temps rêvé revenir au centre de la vie politique française, et misa pour ce faire sur l’écriture d’un ouvrage destiné à redorer son blason. Son titre Tout pour la France était calibré pour souligner l’attachement de son auteur au pays qu’il souhaitait diriger. La stratégie était bonne. On sait en effet que les personnes qui semblent bienveillantes peuvent aisément se rendre charismatiques. Mais vous savez aussi ce qu’on dit : « on ne fait bonne impression qu’une fois », et les tentatives de Nicolas Sarkozy resteront vaines.
Cela nous montre que la communication ne peut pas tout. Son pouvoir est soumis à d’autres paramètres qui ne se contrôlent pas toujours. Le premier d’entre eux est la confiance du récepteur d’un message vis-à-vis de son émetteur. Lorsque cette confiance est rompue, l’influence du message est dégradée. Ces dernières décennies l’illustrent bien. On constate en effet, depuis le début des années 2010, qu’un déficit de confiance s’est installé entre certaines franges de notre population et les médias français conventionnels. Les plus jeunes, notamment, ont trouvé sur Internet une pluralité d’opinions sans commune mesure avec ce que les anciens médias n’avaient jamais proposé. Ils sont donc apparus pour ce qu’ils étaient en réalité depuis toujours : des médias militants, et la jeunesse s’en est tout naturellement détournée. Cela s’est ressenti dans le scrutin présidentiel de 2017 : la campagne très médiatique d’Emmanuel Macron n’a su convaincre que les franges les plus âgées de notre population, qui sont restées fidèles aux vieux médias, tandis que les jeunes se sont majoritairement tournés vers d’autres candidats plus à l’aise avec la communication en ligne tels que Jean-Luc Mélenchon, dont la progression sur YouTube s’est naturellement traduite dans les urnes, ou Marine Le Pen, dont la stratégie de campagne numérique fut exemplaire.
Panique à bord
Pour le Système, la décennie 2010 fut absolument cauchemardesque : en France, la progression du Front national a écrasé le PS et l’UMP. Aux États-Unis, l’élection de Donald Trump a fortement traumatisé la caste journalistique qui avait pourtant milité en faveur d’Hillary Clinton. En Angleterre, le Brexit s’est imposé au grand dam de tous les médias européistes. Le Système était en alerte, et il avait raison : le contrôle des mentalités lui échappait.
Afin d’y remédier, et afin de mieux s’adresser aux jeunes, les médias conventionnels ont rattrapé leur retard sur internet. Ils sont apparus sur Facebook. Ils ont mieux communiqué sur Twitter. Ils se sont imposés partout, avec le soutien des GAFAM, et les gouvernements occidentaux ont largement contribué à accroître la visibilité des médias subventionnés sur le Net.
En France, le président Macron a travaillé son image. Il est apparu sur YouTube aux côtés de McFly et Carlito, tandis que son équipe communiquait sur Twitch et sur TikTok. Il n’aura finalement fallu que quelques mois d’efforts pour que l’opposition en ligne soit totalement submergée par la parole officielle. L’enjeu, ne nous y trompons pas, était absolument capital, car qui maîtrise les flux informatifs d’une société en maîtrise également les croyances, et l’avenir en conséquence.
Ce chapitre est extrait d’un ouvrage intitulé 01-Tradition : Echapper à la catastrophe sociale, écologique et migratoire.
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[1] Vincent ORTIZ, « Comment les médias ont fabriqué le candidat Macron », LVSL, 2017.
[2] Solomon ASCH, « Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgements », 1951.